American Sniper

Controverse dans le viseur...

Après la défection de Steven Spielberg notamment, c'est l'un des vétérans du cinéma américain actuel qui s'est finalement collé à l'adaptation de l'autobiographie éponyme de Chris Kyle, American Sniper. Très différent de son dernier film, Jersey Boys, qui contait l'histoire du groupe musical The Four Seasons, American Sniper nous plonge dans la guerre en Irak et nous confronte au point de vue d'un homme, devenu une légende, Chris Kyle, le tireur d'élite américain aux supposées 200 victimes.

C'était à la fois audacieux et risqué de s'attaquer à pareil sujet. La famille de Chris Kyle, assassiné par un ex-Marine en 2013, souhaitant que le film rende hommage à la mémoire de leur fils, on risquait forcément de tomber dans un travers hagiographique... Le hic majeur du film de Clint Eastwood, qui demeure par ailleurs bien réalisé malgré quelques problèmes de rythme sur la dernière partie, est que la direction sous-jacente et son sens donc, sont incertains. Aussi, on se retrouve surpris d'assister à une fin, images d'archives à l'appui, aux élans patriotiques et lyriques.

Car derrière Chris Kyle, la fierté d'un pays, sous-officier de l'armée américaine, volontairement engagé pour servir son pays après le choc du 11 septembre, se cachait aussi un père de famille, incapable de revenir à la "normalité" d'un quotidien entrecoupé d'images qui le hantaient après ses mois passés à la guerre. Et pour cause, l'homme, dévoré par son devoir patriotique, a accompli bien des missions difficiles, mais à quel prix ? "La Légende", comme on le surnomma rapidement, avait ainsi parfois dans sa ligne de mire des femmes et des enfants, victimes collatérales d'un conflit hideux. Clint Eastwood filme la guerre et la film "bien" : dure, violente, injuste; à l'image de ses personnages, ces Américains de classe moyenne, persuadés d'agir pour le "bien" et qui font cette guerre, qui la font "bien", à l'américaine : avec perte et fracas mais pour sauver les leurs, pensent-ils.

Mais les élans - relents ? - patriotiques du film nous laissent perplexes. La fin nous convaincrait presque que la direction donnée au film nuit à sa réalisation. Pourtant, le film est rondement mené : Clint Eastwood lève le voile sur les turpitudes d'une guerre sale avec des scènes difficiles, montre un homme pris dans l'engrenage d'une guerre qui le porte aux nues et le dépasse sous certains aspects. Une fois les "exploits" accomplis, difficile pour le "héros" Chris Kyle de redevenir un homme simple, un mari aimant, un père dévoué... C'est cet héroïsme à double tranchant - héros pour ses frères d'armes, inconnu en sa propre demeure et ennemi aux yeux de ce que l'on combat et qui ont d'autres idéologies - qu'il est intéressant de filmer. Veut-on saluer la mémoire d'un homme courageux en dépit des dilemmes moraux que ses actions présentent ou rendre hommage finalement à la force et l'unité d'un pays, les Etats-Unis ? Peut-être les deux à la fois ? En semant le doute sur la portée de cette réalisation, Eastwood suscite la controverse, forcément...

Disparu tragiquement, Chris Kyle en devient d'autant plus héroïque aux yeux des Américains et c'est cet écueil, ce parti pris qu'on décèle dans l'épilogue final que le réalisateur n'a, a priori, pas su éviter... On comprend ainsi pourquoi le film divise, d'autant que, contrairement à d'autres réalisations, comme Brothers, dans lequel Tobey McGuire revient "hanté" de la guerre en Afghanistan, les problèmes psychologiques du vétéran affleurent à la surface mais méritaient d'être plus traités en profondeur. Fidèle au précepte basique transmis par son père, le "héros" américain, qui ne voulait être "ni un loup ni un mouton" est ainsi présenté comme un guerrier valeureux, au coeur d'une guerre sale mais "nécessaire"... Ainsi, Clint Eastwood en nous montrant ce héros texan élevé par un père à l'ancienne filme aussi une éducation, un "modèle". American Sniper demeure un hommage derrière le film de guerre et cela l'emporte sur la réalisation efficace du cinéaste américain.