Film nécessaire, interprétation brillante : un drame historique maîtrisé et poignant
Après s'être notamment illustré dans Le Majordome - aux côtés de Forrest Whitaker - film dans lequel il interprétait le fils de ce dernier, engagé dans la lutte pour les droits civiques des Noirs, d'abord du côté des pacifistes avant de se radicaliser avec les Black Panthers, David Oyelowo prête, dans Selma, ses traits à une figure emblématique de la lutte contre la ségrégation et la discrimination raciale aux Etats-Unis : Martin Luther King. L'acteur se révèle convaincant dans la peau du célèbre révérend dans ce film édifiant de la réalisatrice Ava DuVernay. Il incarne ce personnage devenu l'icône d'une cause, celle du mouvement des "Civils Rights" né aux Etats-Unis à la fin des années 50 qui s'est poursuivi jusque dans les années 1960...
Selma n'est pas un biopic et ne s'attache pas à raconter l'histoire de Martin Luther King, de sa naissance à sa mort, mais se penche sur une période particulière de l'Histoire, et en particulier sur un épisode aussi dramatique que déclencheur pour la suite du mouvement : la marche pour l'égalité depuis la ville de Selma, d'où le film tire son titre, jusqu'à Montgomerry, en Alabama. Cet épisode, qui a mené à signer la loi sur le droit de vote par le Président Johnson, est illustré avec brio. Car si les Noirs Américains avaient bien le droit de vote depuis 1870, ce droit restait en fait théorique, notamment dans les états du Sud des Etats-Unis, où l'administration encore raciste et ségrégationniste dans l'ensemble usait de subertfuges pour leur refuser l'accès aux urnes, à l'image d'une scène d'ouverture frappante où le personnage interprété par Oprah Winfrey - par ailleurs, l'une des productrices du film - se voit refuser le droit de voter pour des motifs totalement arbitraires...
Selma raconte donc l'un des combats les plus importants auxquels Martin Luther King a fait face au cours de sa vie. Après Lincoln, Le Majordome ou encore Twelve years a Slave, Selma s'attaque à dénoncer les discriminations auxquels le peuple noir a dû faire face et leur difficulté à faire observer l'égalité en tant que citoyen américain. Ce récit, très bien documenté et à la portée pédagogique incontestable, est rendu poignant par son interprète principal qui dévoile toute la puissance du discours du célèbre pasteur Noir Américain et son pouvoir de persuasion tant auprès du peuple que des politiques ... A la lueur des récentes actualités, comme le drame de Ferguson, Selma fait prendre conscience de l'importance et, hélas, de la légitimité de tels combats encore actuels.
La force de Selma est aussi de donner vie à un personnage historique archi-connu et représenté maintes fois dans les livres mais aussi sur petit et grand écrans, sans tomber dans un travers hagiographique sans doute tentant... David Oyelowo incarne un homme de foi, devenu homme politique par défaut : pour défendre une cause juste. Tribun persuasif, pacifiste et humaniste,Martin Luther King n'en était pas moins un homme public déchiré entre sa cause et sa vie familiale comme le révèlent ici de nombreuses scènes. Le film évite l'écueil de montrer un homme lisse et dénué d'aspérités. Sa relation à son épouse et son intimité, sans trop être mises en avant, le sont assez pour montrer l'homme derrière la figure publique et au-delà, derrière l'icône qu'il est devenu. En effet, aux côtés de l'acteur, l'actrice Carmen Ejogo, lumineuse, incarne une Madame King aussi forte que résignée... "Derrière tout grand homme se cache une femme", dit l'adage : c'est sans doute pour cela que la réalisatrice a souhaité lever le voile sur le caractère de la femme dans l'ombre de l'homme public; femme restée dévouée et fidèle jusqu'à la mort de son époux, et au-delà.
Selma est donc un film historique, à la réalisation certes académique, mais à la force dramatique indéniable, servie par l'interprétation brillante de son acteur principal, qui convainc. Didactique et émotion peuvent donc se conjuguer. Seul bémol dans cette galerie de personnages aussi vrais que nature : Tim Roth en gouverneur de l'Alabama, George Wallace, un peu trop caricatural...